Créée en 1975 par l’Etat ivoirien, la station bovine de Séguéla, plus connue sous l’appellation de ranch de la Marahoué, est aujourd’hui dans un état d’abandon avancé. Ce patrimoine de plus de 100 000 hectares qui permettait à la Côte d’Ivoire de réaliser sa politique d’autosuffisance en matière de protéines animales de qualité se meurt. … Continuer la lecture de « Le ranch de la Marahoué, un joyau écotouristique à l’abandon »
Créée en 1975 par l’Etat ivoirien, la station bovine de Séguéla, plus connue sous l’appellation de ranch de la Marahoué, est aujourd’hui dans un état d’abandon avancé. Ce patrimoine de plus de 100 000 hectares qui permettait à la Côte d’Ivoire de réaliser sa politique d’autosuffisance en matière de protéines animales de qualité se meurt. Tel est le tableau descriptif assez sombre qui en a été fait lors de différentes visites.
Il était autrefois un ranch « exceptionnel »
Le ranch de la Marahoué tient son nom du fleuve éponyme qui le traverse. Il est à cheval sur la région du Worodougou, avec pour capitale Séguéla, et la région du Béré dont le chef-lieu est Mankono.
Il est constitué de cinq sections dont quatre sont sur le territoire du Worodougou, à savoir le Sud, l’Ouest, le Nord et le Centre, et une section qui se trouve dans le Béré. C’est la section Est.
A sa création en 1975 et sa mise sous tutelle de la Société de développement des productions animales (SODEPRA) jusqu’en 1996, toutes les infrastructures pour le rendre autonome y ont été construites. Ainsi, 411 logements dont certains avec piscine, formant des camps de quatre à sept maisons, sont disponibles sur l’ensemble du ranch. Une école primaire, un centre de santé, des lieux de culte, des terrains de sport, un garage tout équipé, un centre de formation avec des salles de classe et des dortoirs pour 40 apprenants par session ainsi que des bureaux sont recensés.
« C’était une infrastructure exceptionnelle. Seule l’Afrique du Sud disposait d’un tel joyau », a confié Bakayoko Ahmed, un employé du ranch, aujourd’hui à la retraite à Séguéla.
Sa principale activité, la recherche et le développement dans le cadre de l’élevage, n’était pas en reste. Les bœufs de race « N’dama », plus résistants aux conditions climatiques locales, surtout à l’humidité et à la trypanosomiase, et plus aptes à la culture attelée, étaient, jusqu’en 2002, au nombre de 13 000, sur des pâturages artificiels à perte de vue.
Et la crise militaro-politique de 2002 survint
La condition actuelle du ranch de la Marahoué relève quasi-exclusivement de la crise militaro-politique de 2002 qui a entrainé le vol de presque tout le cheptel bovin et le pillage de toutes les infrastructures existantes.
« Ça été la catastrophe », a affirmé, dépité, le vieux Bakayoko Ahmed.
« Je constate que la crise a fortement tout impacté ici », avait déclaré le préfet de la région du Worodougou, préfet du département de Séguéla, Diarrassouba Karim, lors d’une visite d’imprégnation, en octobre 2020.
Un cheptel quasiment décimé et un personnel en chute libre
A la reprise des activités en 2010, au sortir de la crise, il ne restait que 450 bêtes dans le ranch. Aujourd’hui, ce chiffre est monté à 1 000 mais les moyens d’entretien des animaux font cruellement défaut.
Autre difficulté, l’envahissement des troupeaux transhumants venant des pays limitrophes dont certaines bêtes s’accouplent avec les « N’dama ». Donnant lieu à d’autres races que celle pour laquelle le ranch doit sa notoriété.
Quant au personnel, de plus de 1 000 agents en son temps, il est aujourd’hui fixé à 103 dont seulement quatre fonctionnaires.
« Le problème se pose en terme de vieillissement. Nos travaux qui consistent à la surveillance des animaux, à les faire sortir, à les ramener, à nettoyer les pâturages, à réhabiliter les clôtures exigent la force. Or, la plupart de nos agents ont plus de 50 ans. Et ça, ça nous pose un véritable problème », a fait savoir le capitane Kouassi Koffi, chef de la station bovine de Séguéla.
Des infrastructures et matériels en ruine
Au fil du temps, les conditions de vie et de travail se sont fortement dégradées.
« C’est la misère au ranch. On travaille dans des conditions misérables. Il n’y a pas de route, il n’y a qu’un seul véhicule et il n’y a pas d’eau courante », a dépeint le délégué du personnel, Binaté Mamadou, au cours d’une rencontre à Dualla, une sous-préfecture dont dépend administrativement le ranch. Plus explicitement, il fait savoir que quatre des cinq véhicules sont en panne depuis belle lurette, le groupe électrogène, quand il veut bien fonctionner, est mis à l’arrêt dès 17 H, faute de carburant, la voie d’accès est parsemée de crevasses qui mettent à rudes épreuves les engins motorisés et les corps en ce sens que le reprofilage des routes date de Mathusalem.
Dans le garage, ce sont les vestiges des machines de toutes sortes, destinées autrefois à faire différents travaux, qui sont visibles.
Des 25 camps constitués de quatre à sept maisons, seule une dizaine est occupée. Le reste est à l’abandon dans la forêt. Ce, en raison des effets combinés de la non-réhabilitation de ceux-ci et du nombre drastiquement réduit d’agents pour les occuper.
Le groupe scolaire et le centre de formation sont en lambeaux parce que n’ayant pas encore été réhabilités par l’Etat, propriétaire des lieux, après la crise militaro-politique.
« Il n’y a pas d’électricité. Les nuits, lors des accouchements, on est obligé d’utiliser des lampes torches », a confié Kadio N’Guetta, l’infirmier du centre de santé construit en 1982 et réhabilité, fort heureusement, en 2018 par le Conseil régional du Worodougou.
Les rapports conflictuels entre la SODEFOR et les agents des Eaux et forêts, d’une part, et les agents du ranch, d’autre part, annihilent toute initiative visant à réparer les ponts en bois qui se trouvent à l’intérieur du ranch et qui permettent de rallier les cinq sections.
« On subit les clandestins de tous ordres. Ceux des cultures pérennes que sont le café et le cacao, ceux de l’orpaillage, ceux du bois. Ce patrimoine a besoin d’être préservé », a lancé le coordonnateur du Projet intégré des ranchs et stations (PROGIRS), Dr Konan Banny Jean-Pierre.
L’espérance d’une reforme idoine
En attendant que l’Etat ne songe à réhabiliter le ranch de la Marahoué, les uns et les autres se nourrissent d’espoir qu’ils tentent de communiquer autour d’eux.
« Le ranch était l’une des plus belles réalisations. De très gros investissements ont été faits ici. Mais, la crise est passée par là et la station a été fortement impactée. Mais, je me réjouis que, malgré cette situation, il y ait un minimum qui ait été préservé. (…) Il faut que nous nous projetions dans l’avenir, vers un avenir meilleur parce que l’existant est là. Il a plus ou moins besoin d’être réhabilité. Il faut préserver ce minimum qui reste, en attendant d’autres investissements pour que le ranch retrouve son lustre d’antan », a déclaré le préfet Diarrassouba Karim. Il a témoigné « toute la reconnaissance de l’Etat » au personnel et aux agents en fonction dans la zone.
Pour lui, des partenariats entre le public et le privé pourraient sortir cette infrastructure de sa torpeur actuelle. Surtout que celle-ci peut être un produit d’appel touristique de premier ordre. Une piste qui semble plausible pour Dr Konan Banny Jean-Pierre.
« En ce moment, le ranch est dans le PROGIRS qui est éligible à la cellule de partenariat public/privé. On est donc dans une dynamique de recherche de partenaires techniques et financiers qui vont permettre de relancer cet outil qui est unique en Côte d’Ivoire », a-t-il déclaré.
Source AIP